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IGNare Online
23 janvier 2008

Instantanéisme

« C’était mieux avant … » comme dirait Francis (mais non, pas Lalanne, Cabrel). Le fait est que, aujourd’hui, nous vivons dans un monde où l’action prime sur la réflexion, où l’instant prévaut toujours à la durée et je trouve cela bien dommageable.

En exergue de cette idéologie, le nouveau gouvernement et « la méthode Sarkozy » : des attaques de chiens dangereux sont relatées dans la presse ? Notre bon président prend la parole et promet de nouvelles directives. Les sans-abri envahissent les berges du canal Saint-Martin ? Nouvelles promesses, et l’action sur la durée que réclamaient les enfants de Don Quichotte et son meneur, Augustin Legrand, est oubliée. D’ailleurs, quand bien même le bougre aurait-il envie de reconduire son coup d’éclat un an après, un car de CRS promptement expédié et une aventure sentimentale romanesque avec une star, momentanément mannequin puis chanteuse avant d’être première dame de France (et après, on soutient que les promotions canapé n’existent plus…), permettent à Sarko d’étourdir l’opinion publique et d’envoyer dans les limbes la crise du logement dans la même demi-journée.

Mais revenons plutôt sur un de ces évènements journalistico-médiatique qui ont marqué nos vies quelques semaines durant:

Vous ne l’avez peut-être pas encore oublié, au début de l’année 2006, la panique et la peur s’emparaient des foyers français, désemparés quand dans leur télévision, journaux TV et émissions spécialisées se relayaient pour faire naître la psychose de la grippe aviaire au sein du charmant village de Joyeux (où l’on retrouva mort le premier volatile sur le territoire français) et pour faire grandir la paranoïa chez des gens qui avaient jusqu’alors déjà bien assez à faire avec leurs soucis habituels. Ce que l’on oublie plus facilement c’est la raison pour laquelle cette plaie sensée s’abattre sur la Terre entière et décimer l’humanité a disparue de notre quotidien. Allez, petit travail de recherche intellectuel : que s’est-il donc bien passé en février-mars 2006 qui a tant intéressé les journalistes au point de ne plus parler du virus H5N1 ? Pour les poissons rouges (et ils sont, paraît-il, nombreux à l’école) à la mémoire plutôt courte, il s’agit du CPE de l’ex-futur candidat à la présidence de la république, Dominique De Villepin (on pourrait d’ailleurs avoir fort à redire sur l’affaire qui l’a assassiné avant le début de la campagne, Clearstream, véritable magouille ou vaste complot pour éliminer un candidat sérieux en face de Sarkozy ? Mais, là n’est pas la question qui nous intéresse à l’instant – et oui, moi-même je sombre fréquemment et aisément dans l’instantanéisme). Alors à tous ceux qui pensent que les manifestations lycéennes et les lois votées à l’époque n’ont servies qu’à semer la confusion et la zizanie dans le pays je réponds que le CPE était paradoxalement le vaccin le plus radical contre la grippe aviaire que l’on puisse trouver (parfois les scientifiques se font, hélas, surclassés dans leur propre domaine par des politiques).

Là où le bas blesse, c’est quand cette idéologie, insidieusement ancrée dans notre nouvelle société telle que nous la créons (Buzz du mois, Zapping de la journée, Best-of de la semaine, etc.) se retourne contre ceux qui la manipule. En effet, à l’instar d’une grenouille que l’on plongerait dans une casserole d’eau bouillante, nous sommes capables de réagir rapidement et de bondir pour éviter une mort trop certaine, néanmoins, il se trouve qu’une grenouille dans une casserole d’eau froide réchauffée lentement jusqu’à ébullition, n’aura pas l’idée de sauter hors de ce piège. Et nous ne nous avérons pas plus intelligents qu’elle. Il nous est effectivement impossible de réaliser que cette culture de l’instant nous fournit un monde où l’écologie, la construction d’un avenir serein, la mise en place d’un œcuménisme pacifique ne peuvent être que secondaires face à la nécessité de se mouvoir (plus ou moins fréquemment) en voiture ou en avion, ou face à des images de meurtres en plein cœur d’un conflit armé ou de lambeaux de chaire sanguinolentes jonchant le sol d’une rue, témoins récents d’un attentat meurtrier, qui ne se fait l écho que d’une réponse immédiate à un problème dont on ne parlerait plus.

Et cette volonté d’inscrire l’instant dans nos vies, comme le « Carpe Diem » d’Horace le préconisait déjà, est fortement défendue par certains des esprits les plus éclairés du XXème siècle comme en atteste ces propos de Franz Kafka : « Celui qui pourvoit uniquement à l’avenir est moins prévoyant que celui qui ne pourvoit qu’à l’instant, car il ne pourvoit même pas à l’instant, mais seulement à sa durée. ».Certes, l’exaltation procurée par l’instant de joie volé que nous recueillons est grandissime, et à vouloir trop planifier une vie, on en oublierait presque de vivre, il n’empêche que loin des arguments de poètes les cataclysmes que peut déclencher ce mode de vie pourraient s’avérer tragiques. A ne pas prendre suffisamment de recul, on en arrive à perdre tout raisonnement et à laisser s’envoler notre conscience avec le déluge d’informations quotidiennes qui bercent désormais nos journées et nous laissent avec l’esprit vaporeux dans l’amère illusion que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
« Suave, mari magno turbantibus aequora ventis, E terra magnum alterius spectare laborem. » (Lucrèce, De rerum natura, II, 1, 2)

PJ

 

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